Un artiste intemporel

12/11/2022

A l’intérieur du musée Pierre Soulages à Rodez

Parce que j’habite Rodez, et suite aux interpellations de nombre d’entre vous sur l’Homme et son Œuvre, je m’enhardis à vous faire part de quelques réflexions personnelles en guise d’hommage.

L’œuvre de Pierre Soulages s’enracine dans le terroir de son enfance. Il y observe les causses, les vieilles pierres, des grottes préhistoriques, des monuments comme l’abbatiale de Conques, ce bijou architectural lui inspirera un émerveillement d’où émergera, bien plus tard, une partie fastueuse de son œuvre.

À 18 ans, Pierre Soulages rejoint Paris, intègre l’École des beaux-arts puis retourne dans sa région natale. Dans l’entre-deux guerres, en Rouergue, espace d’outre-terre peu enclin aux développements des mouvements artistiques modernes, il recherche un style pictural personnel. En 1942 il épouse Colette Llaurens, approche de nouvelles formes d’art et la poésie : en témoigne, au sortir de la guerre, son amitié avec le poète ruthénois Jean Digot, fondateur du prix Antonin-Artaud.

Les années d’après-guerre vont être majeures. Installé en banlieue parisienne, il se lance dans la grande aventure de l’abstraction, notamment après une rencontre avec Sonia Delaunay. Il utilise dans les années 50 des couleurs sombres qui le singularisent et expose notamment à New York, plaque tournante des tendances abstraites.

Il radicalise l’usage du noir dans son œuvre à la fin des années 1970. La lumière, en se réfléchissant sur la surface, joue une place prédominante dans ce travail qu’il qualifie, « doutrenoir » à l’aube des années 80.

Le Président de la République eut des mots justes à son endroit lors de l’hommage national au Louvre le 2 novembre dernier : « En 1979, Pierre Soulages s’acharne sur un tableau qui lui résiste, le noir finit par envahir toute la surface. Il abandonne et croit l’œuvre perdue. En réalité, il vient de la trouver, l’œuvre de sa vie. Ce fut sa leçon de ténèbres. Le noir avait triomphé, et la lumière fut » et poursuit « En ce jour, la nation porte le noir du deuil. Mais Pierre Soulages nous a appris à y apercevoir la lumière. C’est le don universel qu’il nous a fait. Pour cela, merci ».

Au-delà des œuvres restent les écrins dans lesquels elles sont exposées. Je m’attarderai quelques instants sur celui de Rodez. Soulages formula à propos de son musée ruthénois qui rassemble plus de 500 chefs d’œuvres : « je n’ai jamais aimé les musées monographiques mais celui-ci ne sera pas comme les autres. L’accent sera mis sur la création, sur la matière dont naissent les œuvres ». Et il est vrai qu’au-delà de l’admiration éprouvée à la vue des tableaux du Maître, tout, dans ce musée est conçu pour comprendre et percevoir les étapes de leur création. De surcroît cette belle architecture accueille, répondant ainsi aux souhaits de Soulages, des expositions temporaires de peintres de renommée mondiale.

Dans ce contexte, une visite à Rodez pour Soulages se prépare avec minutie : je recommande à mes amis de se rendre en premier lieu au musée Fenaille, haut lieu des statues Menhirs, de passer devant la maison de naissance du peintre, rue Combarel, avant de poursuivre à pied vers le musée Soulages pour se rendre au terme du voyage à quelques dizaines de kilomètres de là, à Conques. Cette chronologie de la visite aveyronnaise, comme un chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, donne du sens à celui qui veut se pénétrer des étapes d’une Œuvre immense et intemporelle mais qui est née de la glaise aveyronnaise.

Puis-je conclure par une requête : le Palais d’Iéna, œuvre d’Auguste Perret, dans ces mois de lustre initial rénové, haut lieu de d’architecture moderne où la lumière pénètre avec abondance, grandirait ses espaces en exposant une œuvre grand format de Soulages.

Rencontre des arts et des hommes, pourquoi pas ?

Bernard FERRAND