La guerre d’Ukraine, les aléas climatiques et l’inflation, le contexte économique actuel suscite une série d’étonnements :
- La sécheresse qui a sévi à nouveau pendant l’année 2022 a surpris par son ampleur et par le fait que cela devient désormais un phénomène récurrent.
- Les prix des produits agricoles à la production qui stagnaient depuis de nombreuses années ont connu une progression très rapide d’environ 30 % en un an. Cette augmentation a commencé par les produits végétaux mais elle s’est étendue aussi aux produits animaux.
- Curieusement, cette hausse de prix n’est pas liée à une forte baisse de récoltes due à un accident climatique. Elle se produit alors que la récolte mondiale de céréales n’a jamais été aussi élevée. Depuis une dizaine d’années, la récolte mondiale ne cesse de battre ses propres records avec un développement beaucoup plus rapide de la production que de la population mondiale.
- Comment expliquer, dans ces conditions l’inaction des Etats et en particulier de la Commission européenne pour endiguer la spéculation ?
- C’est d’autant plus surprenant que la PAC a permis de garder un potentiel de production européen très largement supérieur à nos besoins.
- Pendant le même temps, l’UE s’est lancé dans des politiques interventionnistes pour l’approvisionnement et la fabrication de masques et de vaccins.
- Pendant le confinement, le gouvernement français a même adopté une stratégie opposée à la doctrine antérieure de réduction des dépenses budgétaires avec un slogan clair « Quoi qu’il en coûte »
- Le Gouvernement américain s’est même lancé dans une politique proactive de relance de l’industrie avec un plan de financement de plusieurs centaines de milliards de dollars.
La hausse des prix des céréales sur le marché mondial est un phénomène spéculatif
La hausse des prix sur le marché mondial des céréales a commencé en Juillet 2021, juste au moment où les prévisions d’une récolte record au niveau historique étaient confirmées. La récolte mondiale s’élevait à 2 290 millions de tonnes et ce nouveau record était établi après 9 campagnes successives de progression sans accident climatique. La seule explication plausible était le discours de Vladimir Poutine laissant entendre qu’il allait reconquérir l’Ukraine. Cette menace semble avoir été entendue par les fonds spéculatifs et les grandes entreprises de négoce international. Or depuis l’embargo européen suite à l’annexion de la Crimée , on avait assisté à une montée en puissance des exportations de blé russe. Avec l’Ukraine, ces deux pays assuraient 30 % des exportations mondiales. Rappelons cependant que la Chine et l’UE à 27 restent les deux principaux producteurs mondiaux de blé avec 135 Mt alors que la production russe était en 2021//22 de 75 Mt et celle de l’Ukraine de 33 Mt. Ajoutons aussi que la production européenne de céréales dépassait de 30 Mt notre consommation intérieure.
Les prix des produits agricoles se sont envolés
En France, en Janvier 2023, les prix des produits agricoles à la production ont augmenté de 10 % par rapport à Janvier 2022. Par ailleurs ils ont augmenté en moyenne de 27 % par rapport à la moyenne 5 ans, 2018-2022. Cela se traduit par une hausse de 42 % pour les céréales et de 24 % pour les oléagineux.. Les augmentations sont importantes aussi pour les produits animaux, 30 % pour la viande bovine, 36% pour le lait et même 88 % pour les œufs. Les prix des produits alimentaires à la consommation aont augmenté de 14 % en 12 mois et de 18 % par rapport à la moyenne 5 ans. Les revenus agricoles ont fortement augmenté en 2021 et 2022. Le chiffre d’affaires de la ferme France est passé en deux ans de 75 à 95 milliards € (Md€) et la valeur ajoutée de 33 à 43 Md€. Le résultat net par actif non salarié a pu progresser de 28 % en 2021 et de 36 % en 2022.
La PAC ne permet plus d’empêcher la spéculation
Les États Unis n’ont pas réagi face à cette spéculation car ils étaient obsédés par leur sécurité énergétique et consacraient 42 % de leur énorme production de maïs pour fabriquer de l’éthanol. Les Chinois ont continué leur politique de préparation de conflit en constituant des stocks qui représentent plus de la moitié de tous les stocks mondiaux et leurs assurent ainsi un an de consommation humaine et animale. L’UE n’a pas anticipé cette guerre et s’est trouvé dans une situation paradoxale d’un pays qui assure largement son autosuffisance en céréales et qui subit néanmoins une inflation importée considérable. La PAC a pourtant été créée après la guerre pour éviter les crises de surproduction ou de pénurie et mutualiser entre pays producteurs et pays consommateurs la gestion de ces crises. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres secteurs, les consommateurs doivent manger trois fois par jour alors que la production agricole n’a lieu qu’une fois par an. Un système de régulation des marchés avait été mis en place avec du stockage public et une protection douanière. Le système a été tellement efficace qu’en quelques années, l’UE a été capable d’assurer son auto suffisance au prix cependant de dépenses budgétaires excessives et d’une concurrence considéré comme déloyale sur les marchés mondiaux.
Depuis 1992, l’UE a adopté une politique néolibérale qui a permis dans un premier temps une pression forte sur les prix compensée en partie par des aides directes au revenu. Mais la guerre d’Ukraine a provoqué un retournement des prix sur les marchés mondiaux, retournement qui a provoqué une inflation importante sur les prix des produits alimentaires sans que l’UE ait été capable d’endiguer cette inflation dans la mesure où elle ne disposait plus des instruments de régulation nécessaires.
Lucien Bourgeois