C’était une promesse de campagne du Président de la République. N’ayant pas réussi à mettre en œuvre la réforme systémique, voté par le parlement lors de la précédente mandature, le gouvernement vient à nouveau de procéder à la présentation d’un projet de réforme des retraites sur les bases d’un ajustement des données paramétriques.
C’est l’option du report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans qui a été retenue, à raison de 3 mois par an à partir du 1er Septembre 2023, avec une accélération de la durée de cotisations de 42 à 43 ans, à raison d’un trimestre supplémentaire par an. Pour bénéficier d’une retraite à taux plein, il faudra dès 2027, avoir cotisé pendant 43 ans (172 trimestres). A noter que l’âge d’annulation de la décote, pour l’obtention d’une retraite à taux plein reste fixée à 67 ans. A titre d’exemple c’est la génération née en 1973 qui se verra appliquée le départ à 64 ans et les 172 trimestres pour bénéficier du taux plein.
Régimes spéciaux
La disparition progressive de certains régimes spéciaux devrait intervenir dès le mois de septembre, bien que la clause du « grand père » s’applique en la matière. Il s’agit de ceux de la RATP, de la branche des IEG (Industrie électrique et gazière), de la Banque de France, des Clercs et employés de notaires et des membres du CESE ! Les nouveaux embauchés étant affiliés au régime général de la sécurité sociale de la branche retraite. Elle épargne cependant les régimes des marins, de l’opéra de Paris, de la Comédie française.
Certaines des dispositions prévues dans la réforme ( report de l’âge de départ, durée de cotisations ) ne s’appliqueront qu’avec un décalage de 2 années, mais d’une manière générale l’ensemble de ces régimes spéciaux, ainsi que ceux qui relèvent du régime des pensions des fonctionnaires, seront impactés par le décalage progressif de deux ans de l’âge légal de départ à la retraite, ainsi qu’à l’accélération de la réforme Touraine de 2014 sur la durée de cotisations pour l’obtention d’une retraite à taux plein ( soit 43 ans et 172 trimestres ).
S’agissant de la mesure concernant la caisse de retraite des anciens du CESE, il faut attendre de connaître les modalités de sa suppression et des nouvelles règles qui lui seront appliquées. Si nous n’avons pas d’inquiétude à avoir sur le paiement des retraites déjà liquidées, nous serons attentifs aux conditions du transfert des droits des actuels bénéficiaires d’une pension de retraite, ainsi que ceux des actuels conseillers encore en activité et cotisants au régime du CESE. Nous aurons l’occasion d’interroger la Présidence à ce sujet et d’en suivre l’évolution.
Le gouvernement n’a pas caché sa volonté de réaliser des économies budgétaires, susceptibles de freiner les futurs déséquilibres de l’ensemble de nos régimes de retraite, tout en finançant « des mesures de justice ». Madame Borne a défendu lors de sa conférence de presse l’équilibre du projet du gouvernement, ainsi que les différentes avancées s’agissant notamment, du minimum de pension porté à 1200 € brut mensuel pour une carrière complète, des dispositifs améliorés « carrières longues » pour ceux ayant commencé à travailler avant 16,18 ou 20 ans.
Pas de modifications concernant les personnes en invalidité ou en situation d’inaptitude qui pourront partir à la retraite à taux plein à 62 ans ainsi que pour les travailleurs handicapés à partir de 55 ans.
Il est également prévu :
- une meilleure prise en compte de la pénibilité avec une révision des règles actuelles mais qui reste à préciser
- un renforcement des droits à retraite des indépendants, un coup de pouce aux aidants familiaux
- un assouplissement du cumul emploi retraite et de la retraite progressive.
La création d’un index pour favoriser l’emploi des séniors : Le contenu exact sera défini dans le cadre d’une négociation interprofessionnelle ; on sait aujourd’hui que ce sujet suscite de nombreuses polémiques, compte tenu du faible taux d’emploi des séniors et du nombre relativement faible de salariés encore en emploi au moment du passage à la retraite. La question se pose de savoir si le recul de l’âge légal de départ à la retraite contribuera à relever de façon significative le taux d’emploi des séniors. De fâcheuses habitudes ont été prises au sein des entreprises sur lesquelles il sera difficile de revenir.
La modernisation des droits familiaux et l’unification du système de réversion feront l’objet de travaux confiés au conseil d’orientation des retraites.
Le gouvernement souhaite aller relativement vite et engager rapidement le débat au parlement. Le texte sera présenté en conseil des ministres le 23 Janvier et devrait prendre la forme d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif.
Sans surprise l’ensemble des organisations syndicales de salariés ont fait savoir leur opposition au projet du gouvernement et annoncé des mouvements de grèves et de manifestations dès le 19 Janvier. Les O.S considèrent que la réforme va frapper les plus fragiles, particulièrement les femmes ayant eu des carrières incomplètes et aggraver la précarité de celles et ceux qui ne sont plus en emploi avant leur retraite.
Le dossier retraite a toujours fait l’objet de tensions très profondes et provoqué des réactions très vives à chaque fois que les gouvernements ont voulu en modifier les règles.
La succession des réformes
Depuis le début des années 90 et la parution du livre blanc de Michel Rocard, nous n’avons pas cessé de naviguer dans les réformes :
1993 Réforme Balladur, avec le passage de 37 ans ½ à 40 ans de cotisations pour une retraite à taux plein, calcul de la pension sur les 25 meilleurs années au des 10 meilleurs, indexation des pensions sur l’inflation et non plus sur les salaires.
1995 Tentative de remise en cause des régimes spéciaux au travers du plan Juppé. Devant l’importance des réactions et des manifestations, le Premier Ministre devra retirer son projet concernant les régimes spéciaux.
2003 Réforme Fillon avec un allongement de la durée de cotisations (passage à 41 ans en 2009). Création d’une surcote, limitation des préretraites et mise en place de dispositifs de départs anticipés pour les carrières longues.
2008 Réforme de certains régimes spéciaux (adossement au régime général) ainsi que l’alignement concernant certaines règles paramétriques.
2010 Réforme conduite par Eric Woerth avec un relèvement de l’âge de départ de 60 à 62 ans, augmentation de la durée de cotisations à 41 ans ½ pour une retraite à taux plein et passage de 65 à 67 ans pour l’annulation de la décote.
2014 Réforme Touraine avec un allongement de la durée de cotisations (Un trimestre tous les 3 ans pour atteindre 172 trimestres soit 43 années de cotisations pour l’obtention d’une retraite à taux plein en 2035)
2017 Tentative de réforme systémique avec la création d’un régime universel en points pour tous les français, réforme vivement contestée qui malgré le vote par le parlement ne sera jamais mise en application compte tenu de sa complexité.
Si l’équilibre de nos régimes dépend en grande partie des éléments relatifs à la démographie ainsi qu’à la situation de l’emploi, toutes ces réformes successives contribuent à fragiliser la confiance de nos concitoyens dans nos régimes par répartition et à laisser planer le doute sur leurs capacités à résister à l’épreuve du temps.
Bernard DEVY