Julian JACKSON, professeur d’histoire à Trinity College (London University), est spécialiste de l’histoire du vingtième siècle. Il consacre un livre de près de mille pages à « De Gaulle, une certaine idée de la France ». On voit mal qui, après lui, pourrait se lancer dans une biographie du Général De Gaulle. La sienne s’appuie sur une source considérable de documents, faite d’archives officielles, de mémoires, de lettres etc… Elle situe tous les évènements auxquels le Général a pu participer dans leur contexte géopolitique, en soulignant la trace durable éventuelle de son action.
Julian Jackson ne part d’aucun a priori, contrairement à d’autres qui se voulaient soit panégyriques, soit critiques. Avec le recul du passé, dans certains cas, il donne une appréciation objective sur l’action du Général : a-t-il ou non atteint son objectif ?
La première partie de la biographie va de la naissance du Général en 1890 au début de la guerre en 1939. Elle nous montre la construction progressive du personnage, de ses racines familiales à son entrée dans l’Armée, de ses prises de positions en son sein à son apprentissage du monde politique à la veille de la guerre. J’ai été particulièrement surpris de la liberté de langage que l’Armée laissait à un jeune officier, dont la première affectation fut dans le régiment du Colonel Pétain, qui le prit dans son cabinet au lendemain de la première guerre mondiale. A partir de juin 1940 nous entrons dans l’histoire. Le théâtre en est la France, son empire colonial et l’Europe. L’Asie et le Pacifique, enjeu capital pour les Américains, en sont absents.
Le lecteur n’est pas tenu à une lecture séquentielle, de la première à la dernière page. Il peut se centrer sur les périodes et les évènements qui l’intéressent. La table des matières détaillée, trente chapitres regroupés dans cinq parties, avec pour chacun un titre évocateur, facilite une lecture sélective.
Pour ma part j’ai été passionné par la dernière partie « vers la fin 1966-1970 », qui aurait pu être intitulée « le crépuscule ». A défaut d’avoir une vraie capacité à infléchir le cours des choses, le Général bouscule le pot de fleurs, selon son expression (le Québec libre, les Israéliens qui exagèrent etc…). Dernières salves. Il constate que petit à petit, les évènements lui échappent, à commencer par la qualité de sa relation avec Pompidou, Premier Ministre. Au vu du livre, on ne peut savoir si le référendum de mai 1969 était l’organisation préméditée d’une sortie, ou une vraie tentative de se relégitimer. Durant cette période, Madame de Gaulle est sans doute la plus clairvoyante. Elle ne cesse de dire aux proches de l’Élysée : « Le Général est fatigué. Nous, sa famille, nous le voyons. Vous non, parce qu’avec vous il est en représentation ». Elle souhaitait que le Général lâche prise.
A l’aller-retour en Allemagne, en mai 1969, on comprend son attachement à sa famille, épouse, enfants et petits-enfants.
Avec le temps, de Gaulle est devenu une légende, une statue qu’aucun homme politique n’attaque de front aujourd’hui. Le livre nous montre cependant qu’au travers de tous les combats menés par de Gaulle, de son vivant, ce fut loin d’être le cas. Julian JACKSON pose la question : est-ce l’homme qui a fait la légende, ou la légende qui a fait l’homme de maintenant ?
A la fin de la lecture, on aimerait répondre à la question : quel homme était de Gaulle, ses convictions, ses relations avec les autres ? Julian JACKSON nous laisse nous faire notre opinion. Au vu du livre, il est plus facile de répondre à la question : que nous a-t-il laissé ? Pour l’essentiel, c’est le résultat des actions volontaristes menées de 1958 à 1966.
Pour ma part au-delà d’un fond « catholique social » loin de l’argent, d’un attachement viscéral à son pays, à sa grandeur, à sa capacité de maîtriser son destin par la souveraineté, j’ai été frappé par deux aspects de la personnalité du Général. D’abord son incapacité à communiquer de la chaleur humaine à ceux avec lesquels il travaille. Ses proches lui disent : « pensez à le remercier ». Il répond « il n’a fait que son devoir ». Il s’appliquait sûrement à lui-même la formule… En second lieu un très grand pragmatisme, allié à une détermination farouche, résumé dans la formule souvent répétée : « les choses étant ce qu’elles sont ». Les « choses » couvrent les tendances dans le long terme de la culture d’un peuple, de son histoire. A cet égard le Brexit apporte de l’eau à son moulin, sur son appréciation des orientations de fond de la Grande Bretagne.
Vous comprendrez que je conseille la lecture du livre. Il nous fait entrer dans l’intimité d’un personnage hors du commun, d’un niveau de détermination adapté aux périodes de tempêtes et contesté lorsque l’on s’en éloigne.
Pierre SIMON