18-30 ans : la fracture

10/09/2022

En ce début d’été c’est autour de Steward CHAU que Catherine BLASSEL[1] avait organisé un déjeuner-débat.

Expert en stratégie d’opinion Monsieur CHAU est responsable des études politiques et sociétales de l’institut de sondages VIAVOICE et auteur, avec Frédéric DABI (DG opinion de l’IFOP), d’un ouvrage intitulé LA FRACTURE (Éditions Les Arènes)

Depuis la fin des années 5O l’IFOP a réalisé cinq grandes enquêtes sur la jeunesse. La dernière, en 2021, sur la génération des 18-30 ans, révèle une véritable fracture avec les autres générations. L’Amicale a voulu en savoir plus et les participants au déjeuner ont beaucoup questionné l’intervenant.

Stewart CHAU

En introduction Stewart CHAU a insisté sur la manière dont les jeunes se pensent eux-mêmes : par rapport à l’idée du bonheur ils ressentent une dégradation. Même si les conditions objectives ne le justifient pas toujours, eux le perçoivent autrement et ont le sentiment de vivre à une époque malchanceuse (situation économique, état de la planète, crise Covid.) Par ailleurs ils vivent l’accélération du temps et la difficulté à maîtriser les choses, tout en amplifiant la société de l’immédiateté. Pour eux le progrès c’est raccourcir la temporalité. Ils sont aussi l’objet d’injonctions multiples : aujourd’hui il faut être hyper mobile, avoir visité 10 pays, avoir fait 3 Erasmus… Enfin ils ne croient plus à la notion d’idéal.

On identifie clairement plusieurs fractures : la première est intergénérationnelle, la seconde s’opère entre les 18-30 ans d’une part et la jeunesse des années précédentes d’autre part et la troisième est intragénérationnelle : en fonction du lieu d’habitation -rural ou urbain- ou du niveau de vie (ce qui est apparu avec force pendant les confinements dus à la Covid). Il faut donc parler des jeunesses et ne pas l’analyser de façon uniforme.

Le débat est vif, à l’occasion du déjeuner, sur la notion de bonheur et sa relativité, sur la demande de bien-être qui s’accroît (un adhérent souligne l’explosion des services liés au bien-être), sur l’évolution des entreprises devenues actrices de santé. Concernant le bonheur de vivre une participante souligne l’énorme changement du rapport à la famille (la « détestation » de la famille de sa génération, la révolution de 1968 quant à la sexualité notamment) et en conclue qu’on est passé à une autre civilisation. Stewart CHAU confirme que jusqu’à la fin des années 80 il y a conflit dans la cellule familiale mais qu’ensuite la place de la famille change fondamentalement. Elle est maintenant perçue comme LA protection.

La question de la démocratie est largement abordée et les difficultés quant à la transmission des valeurs sont soulignées.

Le déjeuner ayant lieu au lendemain des élections législatives l’abstention, particulièrement importante de la jeunesse aux scrutins, inquiète.

Dans leur ouvrage La fracture les auteurs consacrent tout un chapitre à la démocratie. Sous -titré « entre doutes et tentation de la radicalité », ils y relèvent que 63% des jeunes Français considèrent qu’il faut que ce soient les citoyens eux-mêmes et non un gouvernement qui décident de ce qui est bon pour le pays, marquant ainsi leur appétence pour la démocratie participative.

Leur défiance à l’égard des institutions est manifeste. Beaucoup jugent les dirigeants incapables et impuissants et considèrent qu’il n’y a pas de solutions : il n’y a pas de confiance en la puissance publique pour répondre aux enjeux, même après la crise Covid (« quelle ingratitude » dit l’intervenant)

Enfin l’individualisme est aussi une crise de la représentation : la jeunesse ne croit plus à la possibilité d’être représentée et a conclu de l’épisode des gilets jaunes que la violence paye ! La représentation -qui fonctionne par recherche du compromis- ne fait plus sens.

Concernant les valeurs, S. CHAU répond que la jeunesse fait « bande à part », non pas sur les valeurs elles-mêmes mais sur leur interprétation. Pour la laïcité ils questionnent le principe républicain. Alors que la majorité de la population y voit un moyen de « séparer les religions et la politique » les 18-30 ans considèrent que la laïcité doit viser à « mettre toutes les religions sur un pied d’égalité ». Et dans le tryptique liberté/ égalité/fraternité, ils surinvestissent l’égalité.  Ils sont très sensibles aux discriminations, et déplorent que les Français de confession ou de culture musulmane en soient particulièrement victimes (¼ d’entre eux estiment même qu’il existe un racisme d’État).

Le temps écoulé ne permet pas d’échanger beaucoup sur le retour du religieux, réel, selon les études conduites (50% des jeunes croient en l’existence d’un dieu, ce qui n’entraîne pas pour autant pratique religieuse) ni sur l’environnement. Mais à ce sujet S. CHAU relève qu’il y a beaucoup de confusion autour du concept et que les jeunes se préoccupent surtout de la lutte pour le climat mais peu des autres aspects du développement durable.

La discussion prend fin avec 4 leviers qui sont évoqués quant à l’engagement :

  • La lisibilité : les jeunes veulent la maîtrise de leur engagement ;
  • La nécessité d’un résultat évaluable (parler de solidarité ne suffit pas) ;
  • La capacité à se mettre au cœur de l’action ;
  • La capacité à influencer les choses : ils ont besoin de se raconter dans l’engagement et il faut un récit narratif.

L’enjeu des 20 prochaines années, selon notre invité, est de comprendre comment on arrive à les convaincre que le destin individuel est, quoi qu’il arrive, lié au destin collectif : comment nous continuons à faire société.

   Lydia BROVELLI, 24 juillet 2022

[1] Membre du CA et de la Commission des Activités culturelles