LIBRES D’OBEIR, le management du nazisme à aujourd’hui par Johann Chapoutot.
Musarder cet été dans la très accueillante librairie de Martigues, ville de mes racines méditerranéennes, et tomber par hasard sur un titre d’ouvrage accrocheur ont favorisé une rencontre virtuelle avec un historien aux multiples talents, J Chapoutot. J’ignorai que la Venise provençale ait vu naitre et grandir cet éminent professeur.
Quelques informations sur l’auteur: Johann Chapoutot, élève au lycée de sa ville natale, est inscrit au concours général d’histoire en 1995 et traite le sujet proposé cette année-là « Un ou des fascismes dans l’Europe de l’entre-deux-guerres ? » ; il devient lauréat de ce prestigieux concours qui va durablement influencer son orientation professionnelle. Lycée Henri-IV, puis École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, il obtient à ce stade l’agrégation d’histoire en 2001. Docteur en histoire en 2006 il est habilité à diriger des recherches en 2013.
Aujourd’hui on ne présente plus Johann Chapoutot, professeur d’histoire à l’université Paris-Sorbonne, spécialiste du nazisme : il est l’auteur de nombreux ouvrages comme Le Meurtre de Weimar (PUF, 2010), La loi du sang. Penser et agir en nazi (Gallimard, 2014) ou La Révolution culturelle nazie (Gallimard, 2017). Il s’intéresse notamment à la littérature normative nazie, c’est-à-dire aux textes juridiques, biologiques, administratifs ou techniques qui expliquaient comment penser, se comporter et agir en nazi.
En suivant cette démarche, il a été confronté aux pratiques managériales développées sous le IIIe Reich. L’Allemagne ne cesse alors de s’étendre, mobilisant toujours plus d’hommes sous l’uniforme ; son effort de production prend des proportions inédites. Les nazis sont de ce fait confrontés à un problème de gestion des ressources humaines (Menschenmateriaal). Voici en quelques lignes le corpus de cet essai de 2019 réédité en juin 2023 qui bouleverse et interroge en profondeur tout historien, juriste et économiste et, bien au-delà, l’ensemble des citoyens.
Le récit très analytique que nous fait Chapoutot est celui d’un intellectuel technocrate, Reinhard Hahn (1904-2000) qui est en permanence au service du IIIᵉ Reich. Juriste, Höhn se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l’État au profit de la “communauté” définie par la race et son “espace vital”. Eminent fonctionnaire de la SS, il termine la guerre comme Höhn se (général) : il nourrit la réflexion nazie sur l’adaptation des institutions au Grand Reich à venir – quelles structures et quelles réformes ?
Après la deuxième guerre mondiale, revenu à la vie civile, Höhn crée à Bad Harz burg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l’élite économique et patronale de la République fédérale avec, au minimum, une neutralité bienveillante des autorités politiques de cette époque: quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses enseignements et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes incluant l’organisation hiérarchique du travail par définition d’objectifs. Le producteur, pour y parvenir, demeure libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l’Est, exterminer les Juifs et que Chapoutot démontre dans cet ouvrage
Mais comme le souligne la quatrième de couverture de cet essai nrf paru chez Gallimard « le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne. »
Libres d’Obéir est un livre référent que je conseille tous nos amis engagés dans la vie économique et sociale.
Bernard FERRAND